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L'approche exclusive : les animaux en font les frais

.par Norm Phelps  



Un clan bruyant et parfois intimidant essaie de prendre le contrôle du mouvement pour les droits des animaux. (Je réalise que cela peut paraître excessif pour quiconque n’a pas suivi la controverse. J’aimerais que ce le soit, mais un examen même superficiel de leurs articles et de leur discours suffit pour remarquer le ton de certitude et d’intolérance absolues envers les opinions différentes -généralement associées avec certaines formes de fondamentalisme religieux.) Ils s'appellent eux-mêmes "abolitionnistes" et appellent ceux dont les vues diffèrent "welfaristes". Bien que je ne doute pas que beaucoup d'entre eux soient bien intentionnés, je pense qu'il est plus logique de les voir comme des partisans d'une approche exclusive puisqu' ils affirment qu'il n'y a qu'une seule façon de militer pour les droits des animaux, la leur, et que quiconque emploie d'autres tactiques n'a pas de place légitime dans le mouvement animaliste. En particulier, ils prétendent que les campagnes en faveur d'interdictions ayant pour effet de diminuer les souffrances - pour la fin de l'utilisation des cages de batterie ou des stalles pour veaux, par exemple, nuisent en réalité aux animaux et devraient être condamnées par tous les militants. Avec un coup de chapeau inconscient à George Orwell, ils soutiennent qu'essayer d'améliorer les conditions de vie des animaux d'élevage est une chose qu'aucun militant animaliste ne devrait faire.

L’argumentation des partisans de l’approche exclusive est double : premièrement, ils affirment que les campagnes réformistes qui soulagent les souffrances des animaux d’élevage impliquent que l’élevage et l’abattage des animaux pour la consommation humaine est acceptable tant que cela est fait "humainement". Ainsi, selon ce raisonnement, le message "welfariste" sape le message "abolitionniste" et permet aux gens de manger des produits animaux avec bonne conscience. Leur second argument est que militer pour réformer les pires abus de l’élevage industriel renforce le statut de propriété des animaux car cela ne le conteste pas directement. Si l’on suit ce raisonnement, puisque toute exploitation des animaux repose sur leur statut de propriété, toute campagne qui ne conteste pas directement ce statut est contre-productive.

Bien que certains activistes poursuivant à la fois l’abolition et les réformes acceptent l’étiquette "welfariste" pour la raison que les américains ne font pas la distinction entre les diverses tendances du militantisme pour les animaux - je trouve cela insultant. Pour nombre de militants, être "welfariste" signifie avoir la conviction que l’emprisonnement, la mise en esclavage et l’abattage des animaux sont moralement acceptables, à condition que l’on épargne aux animaux les souffrances qui ne sont pas nécessaires pour l’utilisation à laquelle ils sont destinés. Pour des raisons évidentes, "welfariste" est un terme d’opprobre pour une grande partie du mouvement. C’est précisément avec cette idée en tête que Gary Francione forgea le terme "nouveau welfariste" en 1996. Mais épingler l'étiquette "welfariste" sur des militants qui considèrent que "les animaux n'existent pas pour que nous disposions d'eux, que ce soit pour l'alimentation, l'habillement, les expériences scientifiques, ou les loisirs" mais soutiennent aussi des réformes visant à réduire les souffrances des animaux est fallacieux, propre à créer des discensions et destructeur. C'est comme appeler les démocrates des "communistes" ou les républicains conservateurs des "fascistes" afin de les exclure du débat politique. Et, parce que cela divise et affaiblit le mouvement qui est le seul espoir des animaux, ce sont les animaux eux-mêmes qui en subissent les conséquences douloureuses et mortelles.

Je suis certain que chaque personne qui participe à cette discussion peut convenir que l’abolition de toute exploitation animale est la seule base acceptable de notre relation avec les animaux non-humains et que l’abolition est le seul objectif légitime à long-terme pour les militants. Et je pense que nous pouvons aussi convenir du fait que la promotion du veganisme est la base de la stratégie à mettre en œuvre pour atteindre ce but. Personnellement, je suis vegan depuis plus de 20 ans. Dans mes livres, je milite clairement et franchement (avec "véhémence" selon un critique carnivore) pour l’abolition et le veganisme. Et j’encourage les autres à faire de même. Mon désaccord tient au fait d’affirmer que les campagnes visant la réduction des souffrances des animaux ne sont jamais appropriées, même si elles sont utilisées conjointement avec un discours abolitionniste et vegan.


Je crois qu’il existe au moins cinq excellentes raisons pour rejeter les arguments des partisans de l’approche exclusive et poursuivre parallèlement l’abolition et les réformes - ou du moins, pour ne pas s’opposer aux efforts réformistes.


Ouvrir des fenêtres sur les chambres de torture

Premièrement, les campagnes qui exposent les pires souffrances subies par les animaux dans les élevages industriels forcent le public à penser aux animaux comme à des êtres sentients et sensibles dont le bien-être est une préoccupation morale sérieuse. Cela ne peut que faire avancer leur libération et non la retarder.


"Loin des yeux, loin du coeur", on retrouve cette idée dans l’observation qu’a faite Sir Paul McCartney : "si les abattoirs avaient des murs en verre, tout le monde serait végétarien". Combien de fois avons-nous entendu "Je ne veux rien entendre à ce sujet !" Et "Ne me montre pas ces images, ou je ne pourrai pas apprécier mon repas !" Les campagnes comme celles contre les cages de batterie et les stalles pour truies gestantes forcent les gens à entendre des histoires horribles et à regarder en face la souffrance, qu’ils le veuillent ou non. Elles percent des fenêtres dans les murs solides des abattoirs et des hangars où les animaux sont confinés. Elles montrent au public la vérité sur ces camps de la mort, et même si ces campagnes ne conduisent pas directement à un monde vegan, elles changent lentement mais sûrement la façon dont les gens pensent aux animaux et à leurs souffrances. Et ce profond changement de l’opinion publique est un pas important vers une société vegan.

Le point crucial est que la plupart des gens sont extrêmement réfractaires aux jugements moraux portés sur les choses qu‘ils font personnellement. Ils les rejettent d’emblée en refusant de les examiner. Ils doivent y être amenés progressivement, pas à pas. La plupart des gens viennent à la cause animale à travers une chose qui les révolte mais qu’eux même ne font pas - fourrure, vivisection, ou combats de chiens et, à mesure qu’ils s’engagent, ils décident de devenir végétariens, puis vegans. Le plus grand nombre d’appels que reçoit PETA, par exemple, concernent 1) les animaux de compagnie ; 2) les animaux de cirque ; 3) la vivisection ; 4) la fourrure. De même, la plupart des gens sont opposés au pire abus de l’élevage (dont, au départ, ils ne sentent pas personnellement responsables), et une fois engagés dans l’opposition à une forme spécifique de cruauté, comme les cages de batterie, le principe de cohérence peut alors s‘amorcer ( nous nous plaisons tous à nous voir comme des personnes cohérentes, l’incohérence morale est cause d’intense détresse psychologique), les rendant bien plus susceptibles de devenir vegan. La campagne réformiste ouvre grand la porte, pour ainsi dire, et une fois celle-ci ouverte, le besoin de cohérence conduit la personne à faire le pas suivant.

Cela a été confirmé par l’expérience des coalitions qui ont mené les campagnes pour l’abolition des stalles de gestation en Floride et en Arizona. Un bon nombre de militants pour les animaux, qui n’étaient pas encore végétariens, se sont engagés dans cette campagne qui les a conduit à cesser de manger des animaux. En fait, je connais au moins un militant animaliste qui aujourd’hui critique publiquement les campagnes dites "welfaristes" bien qu’il soit lui-même devenu vegan en s’engageant dans une campagne pour une loi contre les cages pour truies gestantes.
 

En bref, une approche militante double agit en sensibilisant les gens et en les incitant à prendre activement position contre la cruauté, de sorte qu’ils se voient comme des personnes qui se soucient des souffrances des animaux. Cela les rend plus réceptifs à un message vegan. De cette façon - bien que cela puisse sembler paradoxal aux adeptes de la cohérence théorique, les campagnes réformistes ont pour effet de remettre en question l’idée que les animaux ne sont que des marchandises destinées à la consommation et d’amener les gens à un mode de vie vegan.


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¤ Texte original "One-track activism : animals pay the price" publié initialement sur le site Vegan Outreach,  traduit de l'anglais par Marceline Pauly et publié sur animal sujet avec la permission de l'auteur.
Ce texte a également été traduit en espagnol et en allemand
Norm Phelps, qui nous a quitté le 31 décembre 2014, a milité pour les droits des animaux pendant plus de vingt ans.
Il est l’auteur
d'articles publiés dans les revues Satya et The animals voice entre autres, et d'essais, parmi lesquels Rhyme, Reason, and Animal Rights:Elizabeth Costello’s Regressive View of Animal Consciousness and its Implications for Animal Liberation , paru dans Journal for Critical Animal Studies, vol IV, issue 8, 2008, en 2011, Science weighs in at last : campaigns for "welfarist" reforms cause people to buy significantly less meat  et Science weighs in at last, part 2 - Response to Gary Francione's comments ,


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