animal sujet publie les traductions d’articles animalistes : militantisme, résistance et agentivité animales, cohabitation humains-animaux...

Stratégies pour promouvoir les droits des animaux : arguments extrinsèques et intrinsèques

par Katherine Perlo  





Introduction


Les militants pour les droits des animaux divergent sur la question de savoir lesquels, des arguments empiriques, basés sur les faits comme ceux qui concernent la nutrition, ou des arguments éthiques, basés sur des valeurs comme l’immoralité de faire souffrir des animaux sensibles, ont une validité et une efficacité potentielle plus grandes. Je tiens à aborder le sujet en termes d’arguments "extrinsèques" et "intrinsèques" - une distinction qui correspond seulement en partie à l’opposition empirique-éthique - et à démontrer que l’on fait mieux progresser les droits des animaux en utilisant des arguments intrinsèques.

"Les arguments extrinsèques" sont ceux qui cherchent à promouvoir un objectif et son principe sous-jacent en ayant recours à des considérations politiquement, historiquement, ou logiquement dissociables de cet objectif et de son principe. Les "arguments intrinsèques" font appel à des considérations indissociables, inhérentes à cet objectif et à son principe. Dans ce cas précis, le but est la libération animale et le principe, celui de l’égalité morale des espèces.

Par exemple, l’affirmation selon laquelle le végétarisme (dans l’idéal, le véganisme) aide à réduire la souffrance animale est un argument intrinsèque, mais le végétarisme peut également être justifié par des raisons extrinsèques comme ses bienfaits pour l’environnement. On peut dissocier le végétarisme de ses bienfaits pour l’environnement, puisque il est logiquement possible que l’un ne mène pas à l’autre et que, par ailleurs, la défense de l’environnement est une cause politique indépendante. Mais on ne peut pas dissocier le végétarisme de son bénéfice pour les animaux, puisque le mot végétarisme, quel que soit son étymologie, est employé pour signifier s’abstenir de manger de la viande ou des produits d‘origine animale. On pourrait objecter que le "bénéfice pour les animaux" est un sujet indépendant en cela qu’il y a d’autres moyens de réduire les souffrances des animaux que le végétarisme, ou que l’on peut promouvoir le végétarisme seulement pour ses bienfaits sur la santé humaine. Mais en terme de militantisme pour les droits des animaux, le végétarisme est mis en avant pour les raisons intrinsèques qu’il bénéficie aux animaux eux-mêmes.

La défense des arguments intrinsèques ne repose pas sur un souci de pureté idéologique, mais sur la nécessité d’atteindre un public qui, bien qu’en partie réceptif à nos idées dans certains domaines, est bien loin de l’acceptation nécessaire pour faire des progrès significatifs. A un moment donné de nos échanges avec le public, la discussion achoppe sur des réactions du type : "Oui, c’est terrible, mais c’est justifié si ça sauve des vies humaines" ou "Oui, c’est terrible et injustifiable, mais il y a d’autre sujets de préoccupation plus importants."

Nous devons attaquer le spécisme frontalement, plutôt que nous appuyer sur des arguments extrinsèques plus consensuels- "des schémas existants largement admis" selon la formulation de Yates (2006) - qui relèguent tacitement les droits des animaux et ses exigences politiques à une position marginale et même "extrême" . En plus de renier les droits des animaux, les arguments extrinsèques comportent des implications incohérentes et évasives susceptibles de laisser le public dans le doute et la confusion, sans qu’il lui soit possible de mettre le doigt sur ce qui ne va pas.

Il est vrai que les arguments extrinsèques ont eu certains effets positifs. Si pour d’autres raisons que les droits des animaux, une seule personne est devenue vegan ou a décidé de s’opposer à la vivisection, tandis qu’une autre a fait un petit pas dans la bonne direction en abandonnant la "viande rouge", par exemple, cela bénéficie aux animaux et à la planète. Mais ce dont nous avons vraiment besoin pour libérer des billions d’animaux, c’est d’une transformation d’ordre qualitatif de l’opinion publique. Sans un changement de paradigme moral, le public pourrait ne jamais être suffisamment motivé pour passer outre son propre intérêt à utiliser des animaux ou s’opposer au protectionnisme agressif des gouvernements en faveurs des industries qui maltraitent les animaux.


Types et sous-types d’arguments
 

Durant cette démonstration j’examinerai, entre autres arguments extrinsèques, l’argument d’autorité, le lien entre droits des humains et droits des animaux, et l’argument opportuniste. En ce qui concerne les arguments intrinsèques, je traiterai de l’appel à la compassion et de la critique du spécisme. La critique du spécisme a deux composantes principales : l’affirmation de l’égalité morale, et la dénonciation et le refus d’une éthique fondée sur la domination. Je ne traiterai, parmi les innombrables formes d’exploitations et de mauvais traitements des animaux, que de la consommation de viande et de produits d'origine animale et de la vivisection car ils concernent le plus grand nombre d’animaux et sont, par conséquent, les secteurs les plus importants à cibler.


> 2/9


_______________________


http://cup.columbia.edu/book/978-0-231-14622-7/* Texte original Extrinsic and Intrinsic Arguments: Strategies for Promoting Animal Rights  paru dans le Journal for Critical Animal Studies, Vol V, issue 1, 2007, traduit de l'anglais par Marceline  Pauly, et publié avec la permission de l'auteure.Militante animaliste de longue date, Katherine Perlo a écrit divers essais parmi lesquels Should anti-vivisectionists boycott animal-tested medicines? également publié par le Journal for Critical Animal Studies , Marxism and the underdog,
Elle est aussi l'auteur de Kinship and killing : The Animal in World Religions , Columbia University Press, 2009.